En août 2016 à Rio, Emilie Andéol décrochait sa médaille d'or olympique. Ancienne internationale française de judo, la Bordelaise a mis un terme à sa carrière sportive en 2018 et s'est depuis engagée sur plusieurs terrains pour la promotion du sport. Entretien avec une championne.

Comment as-tu commencé le judo ?

J’ai commencé à l’âge de 5 ans sous l’impulsion de ma mère. Personne ne pratiquait le judo dans ma famille. Mes deux grands frères faisaient du foot. Mais ma mère trouvait que c’était une bonne idée car c‘était un sport avec beaucoup de valeurs. Moi je voulais faire de la danse, du coup j’ai fait les deux. Le judo m’a vraiment permis de m’exprimer plus facilement au sein d’un groupe. J’étais quelqu’un d’assez renfermée mais avec le groupe de judo, je me sentais à l’aise.

A l’époque, je ne rêvais pas de devenir championne olympique. Mon entraîneur disait que je faisais de bons résultats et que je pouvais aller plus loin. Mais pour moi le judo, c’était surtout un bon moyen de passer un moment avec mes amis. J’étais vraiment dans une dynamique de me faire plaisir. Finalement je suis entrée à l’INSEP en 2005, j’y suis restée 12 ans. Et l’équipe de France, je m’y suis vraiment installée en 2012 après les JO de Londres. Avant je faisais des aller-retours dans le groupe.

Quel était ton rapport au sport ?

Ma mère a toujours voulu que nous pratiquions un sport, celui que l’on voulait mais au moins un sport. J’ai toujours dit que je n’étais pas sportive alors que mes frères l’étaient vraiment, ils touchaient à tous les sports. Moi je m’éclatais uniquement au judo et à la danse mais c’est tout. Je n’étais pas du genre à aller courir pour le plaisir, par contre j’aimais beaucoup aller à la musculation. Le judo m’a permis, en grandissant, de me dépasser. J’étais très réservée de nature, un peu sur la défensive. Et le judo m’a permis de m’exprimer et de pouvoir lâcher les chevaux sur le tapis. Je ne m’exprimais pas avec la parole mais quand j’étais énervée, ça se voyait sur le tapis. J’arrivais à puiser en moi et à me dire que j’étais capable. Les gens le voyaient mais moi je ne m’en rendais pas compte. J’ai évolué avec le judo, ça m’a forgé.

Comment as-tu concilié ta vie de femme et de sportive de haut-niveau ?

Avec l’INSEP, j’ai grandi dans un monde où tout le monde est sportif donc c’était assez simple, on avait le même emploi du temps, les mêmes activités. Avec mon entourage par contre, je voyais que j’évoluais autrement. Professionnellement, dans la vie de famille, sur plein de choses, je voyais à côté de quoi je passais. Mais j’ai réussi à concilier tout cela car je savais pourquoi je faisais ces sacrifices. J’avais pour objectif de participer aux JO de Rio. Et d’un côté, mes amies me disaient qu’elles faisaient plus de choses que moi mais que j’étais épanouie dans ce que j’avais et surtout, que j’arrivais à faire des choses qu’elles ne pouvaient pas faire au même âge. Faire le tour du monde pour les compétitions, représenter la France, rencontrer énormément de monde, gagner de l’argent… Donc finalement j’ai très bien vécu ma vie de sportive de haut-niveau. Le seul hic, c’était que je ne voyais plus beaucoup ma famille, mes parents, mes frères, je ne voyais pas mes neveux grandir. Je suis très famille donc dès que j’avais des vacances, j’allais les voir.

Comment imaginais-tu ton avenir quand tu étais petite ?

Je rêvais de devenir danseuse professionnelle mais je ne l’assumais pas car je dansais mal. Mais c’est important de croire en ses rêves. Au collège, je me voyais biologiste ou chimiste, en blouse blanche quoi. Je voulais choisir la filière scientifique et créer des choses. Au final rien à voir. Ce qui est sûr, c’est que je ne me voyais pas du tout athlète de haut niveau. Même en classe départementale, je faisais les championnats de France mais je ne performais pas. L’INSEP, ça m’est tombée dessus alors que je ne m’y attendais pas. Je connaissais à peine les champions. Je connaissais Frédérique Jossinet, car elle avait fait les JO d’Athènes, et David Douillet bien sûr. C’est plutôt mon entourage qui était à fond. Je suis arrivée insouciante et j’ai fait des résultats d’un air détaché. Les filles étaient un peu énervées, surtout les juniors, car je les faisais tomber. Quelques mois plus tard, j’ai gagné une compétition alors qu’il y avait les meilleures. Au championnat de France, je voulais faire un podium et j’ai fini 3e. Pour moi, ça s’arrêtait là et j’allais reprendre ma vie de tous les jours. Mais l’entraîneur des juniors est allé voir ma mère dans les tribunes pour lui dire que j’étais qualifiée pour un tournoi avec les juniors. C’était l’un des meilleurs tournois. Il s’attendait à une réaction de joie. Mais ma mère a juste dit : « C’est quand ? Ah non ce n’est pas possible. » Je crois qu’en même temps j’avais ma profession de foi. Mon entraîneur de club était mort de rire. Il savait comment on fonctionnait. Il a dit à l’entraîneur des juniors de ne pas s’inquiéter, qu’il discuterait avec nous. Il a bataillé avec ma mère et j’ai fini par aller au tournoi. J’ai fini 5ème et c’est cet été-là que j’ai découvert les compétitions à l’internationale. Derrière, on m’a demandé d’intégrer l’INSEP. Au début j’ai dit non. Et finalement j’y suis allée.

Quels sont tes différents engagements associatifs ?

Avec mon parcours d’athlète, je voulais absolument m’engager. Je suis marraine du dispositif « Toute Sport ! », on vient en aide à des femmes isolées. Ma conviction est que le sport permet de se restructurer. J’échange beaucoup avec ces femmes, de mon parcours, de mon vécu. J’ai eu des périodes compliquées moi aussi durant lesquelles j’ai complètement lâché le sport. Et c’est quand j’ai repris le sport pour moi-même que je me suis reprise, dans ma vie personnelle et aussi dans ma vie professionnelle.

On prône également l’égalité hommes-femmes dans le sport. Ce qui est bien avec le judo, c’est qu’on ne faisait pas de différence à l’entraînement, je m’entrainais avec les garçons. C’est à l’INSEP que j’ai compris qu’il y avait les filles d’un côté et les garçons de l’autre, ce n’était limite pas le même sport. Il y a un manque de reconnaissance en fonction que l’on soit championne olympique ou champion olympique. Dans les instances, il faut plus de représentation féminine.

Depuis un an et demie, avec la fondation Ippon, je suis engagée dans l’éducation en Afrique pour lutter contre la fracture numérique. Je m’éclate vraiment, c’est intéressant de monter des projets et de voir les enfants et l’équipe pédagogique heureux. On ne fait pas tout ça pour rien, il y a un vrai besoin. En ce moment, avec la fondation Didier Drogba, on monte les Olympiades du numérique pour la Côte d’Ivoire. Le concept est d’allier sport et éducation et on fait en sorte que le rayonnement soit national.

Je ne connaissais pas le continent africain. C’est un vrai coup de cœur, il y a tellement de richesses et de possibles. C’est aussi pour ça que je me suis engagée avec Sport en Commun en tant que Sport Impact Leaders.

Quel rôle peut jouer le sport dans l’émancipation des femmes ?

Un très grand rôle. Le sport permet aux femmes de se dépenser et de relâcher la pression. Pas besoin de faire du sport de haut-niveau pour cela. Les femmes sont sujettes à une énorme charge mentale dans la vie de tous les jours, dans la famille, au travail, avec les pressions sociales… Le sport peut être un vrai exutoire. C’est un moment pour relâcher la pression et se remotiver. Quand on est dans un bon mood, on arrive plus facilement à se reconstruire. Je considère que le sport permet d’être une bulle d’air, et c’est au-delà de la femme, ça peut être le cas pour tout le monde. Femmes, enfants, personnes âgées…

Crédit photo : Jack Guez / AFP