Vecteur d’affirmation des identités nationales, outil de promotion d’un panafricanisme sportif et accélérateur des politiques de grands travaux, le sport est aujourd’hui considéré comme un levier de développement durable. En tant qu’acteur multifacette, les académies sportives peuvent contribuer au changement social.

Le secteur sportif représente près de 2 % du PIB mondial, mais il ne contribue qu’à 0,5 % du PIB africain (Mazars & Institut ASCI, 2020). Si l’économie du sport sur le continent présente un fort potentiel, grâce à un important taux de croissance, à la jeunesse de la population et au talent athlétique, certains manques concernant notamment la gestion des carrières, les infrastructures et la formation, en freinent l’évolution (Ibid.).

Plusieurs pays en Afrique misent désormais sur l’industrie sportive pour entrainer leur croissance socioéconomique. Pour autant, cette croissance, seule, ne peut assurer l’atteinte des Objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies à l’horizon 2030 (Banque mondiale, 2014), ni la réussite de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Pour que le sport contribue à l’émergence d’un nouveau modèle de développement à l’échelle du continent et afin de garantir son impact social, il est nécessaire d’allier développement du sport et sport au service du développement et de la paix (SDP).

Dans la combinaison de ces deux approches, différentes mais interdépendantes, les académies sportives au sens large sont parmi les parties prenantes les plus transversales et multidimensionnelles. Selon leurs objectifs, leurs stratégies et les contextes dans lesquels elles s’inscrivent, elles peuvent participer à l’essor du sport local (démocratisation et professionnalisation des disciplines sportives, renforcement des compétences spécifiques des acteurs sportifs…), au développement humain et durable, ainsi qu’à la protection des athlètes.

Académies sportives en Afrique : un impact équivoque

Les académies sportives africaines présentent une forte hétérogénéité et peu d’études leur sont consacrées. En 2007, Darby, Akindes et Kirwin ont établi une typologie des académies de football en Afrique, ces dernières étant ici « définies au sens large comme des installations ou des programmes d’entraînement destinés à produire des talents de football ». Ils distinguent ainsi quatre grandes catégories :

  • Les académies africaines, organisées et dirigées par des clubs ou des fédérations nationales et fonctionnant comme leurs équivalents européens ;
  • Les académies afro-européennes, pouvant impliquer la création d’un centre de formation en Afrique par un club européen, la conclusion d’un partenariat entre une académie existante et un club européen, ou un arrangement par lequel un club européen prend une participation majoritaire dans un club africain ;
  • Les académies privées ou parrainées par des entreprises, généralement soutenues par d’anciens joueurs africains de haut niveau et les fédérations nationales de football ;
  • Les académies non affiliées, improvisées, créées sur une base ad hoc, comprenant un personnel peu qualifié et des installations inappropriées.

En Afrique du Sud, les académies sportives ont été érigées en système institutionnalisé. De fait, le développement du sport sud-africain via un système d’académies coordonné est l’un des objectifs stratégiques du National Sport and Recreation Plan (2012). La mise en place d’une série d’institutions décentralisées (académies sportives nationales, provinciales et par district), relevant d’une approche nationale unifiée et intégrée, vise à développer les talents sportifs à différents niveaux, en particulier ceux issus des groupes défavorisés.

L’incidence des académies sportives sur le sport, les sociétés et les athlètes africains reste néanmoins équivoque. Dans Ethnographie des académies de football au Ghana (2010), Darby souligne les différences et les nuances qui sous-tendent ce fonctionnement, afin de bien comprendre le rôle des centres de formation en Afrique et mesurer leur impact sur le football et la société. Ainsi, les académies de football au Ghana faciliteraient simultanément le développement et le sous-développement du football africain. Si les joueurs les plus talentueux sont effectivement exportés, certains rejoindront ensuite l’équipe nationale, alors que les autres alimenteront les équipes locales. Cependant, l’exode des talents rend les championnats locaux moins attractifs, induisant un manque à gagner en termes de billetterie, un désintérêt de la part des sponsors comme des médias, et donc moins d’opportunités pour installer des ligues financièrement viables pouvant retenir les talents.

Considéré comme un élément essentiel au service du sport national, le système d’académies sportives sud-africain pourrait représenter un remède à ce cercle vicieux. Centré sur l’athlète, il contribue à l’essor de diverses disciplines sportives et contraint les académies privées à en respecter les préceptes (South African Sports Academies Strategic Framework and Policy Guidelines, 2013). Par ailleurs, si les indicateurs de performance sont principalement quantitatifs et focalisés sur le sport d’élite, des enjeux transversaux tels que l’acquisition de compétences de la vie courante et l’éducation à la santé sont également mentionnés.

Grâce à la « mobilité des cerveaux » et aux transferts de fonds effectués par les athlètes professionnels basés à l’étranger, les académies sportives axées sur la commercialisation des joueurs contribuent d’une certaine manière au développement de l’Afrique. Pour optimiser leur impact social, d’autres centres de formation préfèrent utiliser plus directement le sport comme vecteur de changement.

Quand les académies sportives deviennent des organisations de développement

Des prototypes très différents se présentant comme des leviers de développement, et non pas seulement comme des centres d’excellence sportive (Manzo, 2010), ont émergé en Afrique dès les années 1990. Parmi les académies cumulant sport d’élite et préoccupations sociétales, l’Institut Diambars vise à « faire du foot passion un moteur d’éducation ». Depuis sa création en 2003 au Sénégal, Diambars a formé plus de 500 joueurs (60 évoluant au niveau professionnel) et avance un taux de réussite au brevet et au baccalauréat d’environ 80 %. A titre de comparaison, 44,65 % des bacheliers sénégalais ont obtenu leur diplôme en 2021. Si le recrutement, réalisé uniquement auprès de garçons sur critères sportifs, est parfois considéré comme peu inclusif (Manzo, 2010), l’Institut permet néanmoins aux pensionnaires de bénéficier d’un encadrement de qualité et de perspectives dans leur parcours sportif, scolaire et professionnel, ainsi que d’infrastructures adaptées. L’histoire d’Aly Sileymane Ly, jeune talibé recruté par Diambars au début des années 2000, en atteste. Aly ne deviendra finalement pas footballeur professionnel, mais grâce à l’Institut, il a pu s’accrocher à ses études et obtenir récemment un diplôme d’ingénieur en informatique.

Sur un modèle relativement similaire, LaBase Academy a recours au basketball pour former la jeunesse africaine. Fondée en 2016, cette association sportive ivoirienne, dirigée par l’ex-internationale de basketball française Monny Esther Niamké, porte actuellement le plan INFRA, un projet de construction d’un complexe innovant au service des talents africains. La popularité du basketball en Afrique augmente, mais le potentiel des athlètes est souvent freiné par un manque de moyens et d’opportunités. Ainsi, LaBase Academy souhaite accompagner ces jeunes talents, souvent issus de milieux défavorisés, dans leur formation académique et sportive. Principale originalité de cette initiative : l’accent mis sur la formation en agriculture biologique. Selon la Sport Impact Leader, « le développement du secteur agricole à Adiaké est de nouveau considéré comme la solution la plus efficace pour absorber durablement les jeunes ruraux arrivant sur le marché de l’emploi ». Une offre de formation complète comprenant formation agricole, éducation de base, connaissances techniques et compétences générales (santé, nutrition, alphabétisation, basketball…) peut donc favoriser l’insertion socioprofessionnelle des jeunes ruraux.

Pour d’autres structures, la priorité est accordée au sport comme outil de transformation sociale, plutôt qu’à la professionnalisation d’une discipline sportive. Créée en 2004 par l’ancien international français de rugby Serge Betsen, l’académie éponyme est basée sur le triptyque « sport, santé, éducation » et fait du rugby un vecteur d’insertion sociale pour les communautés vulnérables. Les cinq centres camerounais de la Serge Betsen Academy (SAB) sont équipés d’une infirmerie, d’une bibliothèque et d’une salle informatique. La SAB propose des initiations au rugby, des séances de soutien scolaire et les quelques 7 000 jeunes accompagnés présentent un taux de réussite de 85 % au baccalauréat, « alors que la moyenne africaine tourne autour de 35 % », précise Serge Betsen. Les centres sont accessibles à tous, sans conditions particulières. L’académie effectue aussi des séances de sensibilisation à la santé (paludisme) et a ouvert en 2020 un nouveau centre au Mali, comprenant un axe prioritaire dédié aux filles et à la santé sexuelle et reproductive.

Un projet analogue est en cours d’élaboration en Côte d’Ivoire. L’Académie Max Brito, dirigée par Olivier Diomandé, ancien joueur franco-ivoirien de rugby à XV et Sport Impact Leader vise à accueillir, accompagner et éduquer les jeunes filles et garçons dès 12 ans, en s’appuyant sur les valeurs d’intégrité, de passion, de solidarité, de discipline et de respect promues par le rugby.

Les athlètes de haut niveau comme agents de changement

Le lien entre académies sportives et développement social en Afrique relève à la fois d’aspirations individuelles et de dynamiques familiales (Darby, Esson & Ungruhe, 2018). Une certaine croyance existe, selon laquelle migration et développement seraient étroitement corrélés. La migration sportive, principal désir des jeunes athlètes, est souvent vue comme un moyen de diversifier les ressources familiales voire communautaires, dans des pays où l’aide sociale est généralement inexistante.  

Au-delà des transferts de fonds, les pays d’émigration comme les organisations internationales ont tendance à considérer la diaspora comme un levier de développement, et portent une attention particulière à ses membres hautement qualifiés comme les sportifs d’élite. En effet, les athlètes de haut niveau s’investissent fréquemment au profit de leur pays d’origine ou de celui de leurs parents. Cet engagement peut prendre diverses formes : par exemple, avant de co-créer une académie sportive dans la région dont son père est originaire, Monny Esther Niamké et sa famille ont initié un projet scolaire sur les terres héritées de leurs ancêtres. Pour Serge Betsen, il s’agissait de mettre son sport, « qui lui a tant apporté », au service des autres. Et de facto, de nombreuses académies sportives promouvant des objectifs de développement durable sont créées et/ou dirigées par des athlètes d’élite d’origine africaine.

Pour autant, si le potentiel est important, des limites et des besoins perdurent. Avant de rejoindre l’Académie Max Brito pour un projet de rugby focalisé sur le développement de la jeunesse ivoirienne, Olivier Diomandé souhaitait structurer l’ovalie en Côte d’Ivoire, dont la pratique reste encore confidentielle. Cette volonté initiale s’est heurtée à des difficultés d’ordre structurel, ainsi qu’à un certain immobilisme. Le Sport Impact Leader déplore également la priorité accordée au sport business, au détriment d’un réinvestissement dans la société, ainsi que l’absence de régimes de sécurité, y compris sociale, à laquelle sont confrontés les athlètes.

En tant que porteurs de projets à impact social, ces athlètes nécessitent un accompagnement, des financements, et doivent s’inscrire dans un écosystème favorable afin d’assurer la pérennité de leurs actions. En cela, des initiatives comme la plateforme Sport en Commun, dont l’objectif est de connecter le monde du sport avec celui du financement du développement, peuvent représenter une partie de la solution. Autre opportunité : le programme de soutien aux académies sportives africaines lancé par l’Agence française de développement (AFD). En plus du financement, l’AFD apportera son savoir-faire en termes d’éducation et d’égalité femmes-hommes, pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes. 

Les académies sportives, dans leur grande diversité, ont donc la capacité de contribuer au développement du continent africain à travers le sport. En tant que structures de formation, l’impact des académies sportives proposant un double cursus porte essentiellement sur l’éducation. Si leurs résultats, souvent supérieurs aux moyennes nationales, soulèvent d’autres questions quant à la qualité de l’enseignement public et de la gratuité des écoles dans les pays émergents, ils attestent néanmoins d’une réelle participation au développement d’un capital humain. Ce faisant, les académies améliorent également les perspectives des jeunes sportifs, en palliant la précarité qui guette lors de la reconversion professionnelle des athlètes ou aspirants-athlètes de haut-niveau. En accompagnant leurs recrues, les académies peuvent aussi aider à réguler le marché des transferts et protéger les étudiants-athlètes des réseaux clandestins, en octroyant notamment des bourses d’études.

Dans son article Learning to Kick: African Soccer Schools as Carriers of Development (2010), la conférencière Kate Manzo stipule que « dans le cadre d’un objectif de développement communautaire, les programmes holistiques et multifacettes semblent les plus prometteurs ». A la croisée de multiples problématiques contemporaines (migration, droits de l’homme…), pouvant prendre place au sein de divers modèles de développements, les académies utilisant le sport comme vecteur de changement peuvent clairement concourir à la transformation de l’Afrique d’une manière inédite.